La vie et la mémoire

LA MÉMOIRE ÉMOTIONNELLE

Pour établir mon positionnement, j’ai choisi d’utiliser l’état des lieux écrit par Rem Koolhaas dans son ouvrage « Junkspace ». Il est un point de départ pour aborder la question du rapport de l’architecture à la mémoire.

REM KOOLHAAS, Junkspace, p45

« 1.1 Les villes contemporaines sont-elles, comme les aéroports contemporains – « toutes les mêmes » ? Peut-on théoriser cette convergence ? Et, si c’est le cas, vers quelle configuration finale tend-elle ? La convergence n’est possible que si l’on se débarrasse de l’identité. Ce qui est généralement considéré comme une perte. Mais à l’échelle à laquelle cela se joue, cela doit avoir une signification. Quels sont les inconvénients de l’identité et, inversement, quels sont les avantages de l’impersonnalité ? et si cette homogénéisation apparemment accidentelle – et généralement déplorée – était un processus intentionnel, un mouvement conscient, de la différence vers la ressemblance ? Et si nous étions les témoins d’un mouvement mondial de libération : « À bas le caractère ! » Que reste-t-il une fois que l’identité a été abandonnée ? Le générique ?

Il faudrait alors que ces villes convergent vers une uniformisation, vers le plat. Bien que l’on ait conscience que globalement cette convergence est considérée comme une perte, on en est pas affecté. On la néglige. Peut être même par une sorte d’inconscience volontaire dont on se conforte dans une fausse opposition qui cherche les inconvénients de l’identité et les avantages de l’impersonnalité. Ce qui revient curieusement à chercher deux fois la même chose, et en tout cas, sans tenter d’explorer la moindre once du côté opposé qu’est cette sensibilité à la mémoire.

Finalement, une fois l’identité abandonnée, oui effectivement, mathématiquement il ne reste plus que le générique. ou je pourrai même ajouter « la fonction ». La fonction d’habiter, d’une certaine manière en correspondance parfaite au besoin physique et psychique de l’homme qui à choisi de vivre sans la mémoire.

1.2 Dans la mesure ou l’identité émane de la substance corporelle, de l’histoire, du contexte, du réel, nous sommes bien incapables d’imaginer que quelque chose de contemporain – de notre fait – puisse y contribuer. Mais du fait que la croissance humaine est exponentielle, le passé à un certain moment, va devenir trop « petit » pour être habité et partagé par les vivants. Nous l’épuisons nous-mêmes. Dans la mesure où l’histoire se sédimente dans l’architecture, la masse actuelle des hommes va inévitablement faire éclater et vider la substance antérieure. L’identité, ainsi conçue comme partage du passé, est un pari perdu d’avance : non seulement il y a proportionnellement – dans un schéma stable d’expansion continue de la population – de moins en moins à partager, mais l’histoire connaît une demi-vie ingrate – plus on en abuse, plus elle perd son sens – si bien que son maigre pécule en devient misérable. Cet amaigrissement est aggravé par l’accroissement constant de la masse des touristes, une avalanche qui, dans sa quête permanente du « caractère », réduit de brillantes identités à l’insignifiance de la poussière.

J’aime cette manière de décrire les sources de l’identité, substance corporelle, histoire, contexte, réel. Pourquoi ne serions nous pas capables d’imaginer que quelque chose de contemporain puisse contribuer à la constitution de cette identité ? Notre monde n’est il pas en perpétuelle réécriture, en mouvement permanent ? Ne pas considérer l’équilibre par le mouvement est une mort lente assurée.

Doit on considérer alors que l’identité se limite à ce qui est ancien ? Dans ce cas une ville comme Dubai n’aurait pas d’identité ?

1.3 L’identité est comme une souricière dans laquelle des souris de plus en plus nombreuses doivent partager l’appât initial et qui, à y regarder de plus près, est peut être vide depuis des siècles. Plus l’identité est forte, plus elle emprisonne, plus elle résiste à l’expansion, à l’interprétation, au renouvellement, à la contradiction. L’identité devient une sorte de phare – immuable, surdéterminé, qui ne peut modifier sa position ou le signal qu’il émet qu’au risque de perturber la navigation. (Paris ne peut devenir que plus parisienne – elle est déjà en train de devenir hyper-Paris, une caricature vernie. (…)

Oui l’identité impose plus de lenteur, mais elle souligne la différence, elle transporte, elle é-meut. Il est évident qu’elle ne peut pas exprimer en totalité la vie nouvelle. Mais la vie n’étant pas faite que de présent, finalement, une ville dynamique est d’un meilleur parti puisque elle cumule plusieurs richesses.

1.4 L’identité centralise ; elle requiert une essence, un point. (…) Quand une sphère d’influence s’étend, la partie à laquelle le centre donne son caractère devient de plus en plus grande, ce qui dilue irrémédiablement à la fois la force et l’autorité de son cœur ; inévitablement la distance entre le centre et la circonférence s’accroît jusqu’à un point de rupture. (…) le centre est premier et que tout le reste en dépend : sans centre, pas de périphérie ; l’intérêt du premier compense sans doute la vacuité de la seconde. (…)

1.6 La Ville Générique est la ville libérée de l’emprise du centre, du carcan de l’identité. La ville Générique rompt avec ce cycle destructeur de la dépendance : elle n’est rien d’autre qu’un reflet des besoins actuels et des moyens actuels. Elle est la ville sans histoire. Elle est assez grande pour tout le monde. Elle est commode. elle n’a pas besoin d’entretien. Si elle devient trop petite, elle s’étend, simplement. Si elle devient vieille, elle s’autodétruit et se renouvelle, simplement. elle est partout aussi attirante – ou sans attrait. Elle est « superficielle » – comme un studio hollywoodien, elle peut produire une nouvelle identité du jour au lendemain.

Ce positionnement « Si elle devient vieille, elle s’autodétruit et se renouvelle, (…) » est une perte permanente de la trace de l’existence, des sources. C’est perdre la possibilité de prendre en compte le passé pour construire l’avenir. « Pourquoi faire disparaître à tout prix nos rides puisqu’elles expriment notre manière d’être, de la bonté, de l’intelligence, parfois de la tristesse. Les abolir, c’est en quelque sorte s’amputer d’une existence qui aura donc été vécue pour rien. » Extrait Pierre SANSOT « La beauté m’insupporte » page 51.

Supposer la construction d’une ville libérée de l’histoire, et de toutes contraintes tel un « studio hollywoodien » dans l’unique objectif de favoriser le besoin de l’homme, c’est la direction inéluctable vers le plat[1]. Et dans le plat, le désert, au travers duquel on trouve pour moi le mortel ennui. « Certes un monde trop lisse, trop « parfait », si je puis dire, ne me conviendrait pas et il serait inhabitable » Extrait Pierre SANSOT « La beauté m’insupporte » page 33

L’attachement à la mémoire est nécessaire à l’homme,
LA MÉMOIRE EST VITALE.

 

LE POIDS DE LA MEMOIRE

LA MEMOIRE – ATTACHEMENT

C’est une question très large, faisant appel à beaucoup de disciplines. Je l’aborde ici sur la base d’expériences personnelles et réflexions instinctives.

En un premier temps, me vient à l’esprit la mémoire de l’histoire des « grandes » actions ou mouvements qui ont constitué les sociétés. Cette mémoire peut se ressentir déjà au moins de deux manières différentes par ceux qui l’ont vécu, et par ceux qui apprennent l’histoire.

Lorsque les personnes ayant personnellement vécu cette histoire ou leur proches décèdent, alors l’attachement affectif à cette mémoire disparaît.

Par exemple, il existe une ancienne carrière ou mine à kaolin, sur la montagne de l’Ursuia dans la commune de Cambo les bains. Cette carrière est à peine visible par quelques trous ou tranchées que l’on peut apercevoir ici et là. Aujourd’hui, les personnes ayant travaillé dans ces mines sont décédées, et les proches peut être aussi, alors la mémoire de cette activité disparaît avec ces gens qui la connaissait. Cette disparition se fera de manière absolument inaperçue. Personne s’en plaindra, personne n’y pensera.

Par contre, celle-ci peut faire naitre l’imagination d’un monde passé, c’est un peu comme lorsque l’on visite un château du moyen age, on s’imagine tout un monde qui vivait et utilisait ce lieu, avec leurs vêtements, leurs principes, habitudes et actions. L’imaginaire se développe, on est ému, bouche bée même parfois. Ce n’est pas spécialement en comparant à soi même, c’est juste en s’imaginant ces histoires. En s’imaginant le bruit d’une charrette tractée par un cheval sur une route en pavé. En touchant un objet comme un mur que jadis un autre homme, dans un autre monde a touché[2]. Ceci crée comme une connexion entre nous, ce qui serait en quelque sorte une émotion que j’appellerai trans-temporelle.

Enfin, la mémoire pourra perdurer dans l’histoire, mais pas de manière affective, plutôt dans un objectif de plaisir ou de simple transmission.

Celle-ci pourra être perçue dans sa globalité comme une émotion de curiosité, comme une découverte.

 

Un autre type d’émotion se constituera avec une vielle maison, ou plutôt une maison dans laquelle on a vécu, grandi, il s’y est forgé quantité de souvenirs, de secrets, de relations et d’histoires passées dans ces lieux. Visiter à nouveau ces lieux fait ressurgir des souvenirs. Une émotion facilement perceptible. Il n’y a pas obligatoirement un attachement, mais plutôt une émotion nostalgique.

Cette émotion est perceptible dans un lieu qu’on a vécu, mais aussi dans des lieux ou des personnes qui peuvent être importantes pour nous ont vécu. Mais alors peut être que cette émotion nostalgique va devenir quelque peu différente, elle va prendre une part de curiosité.

J’ai en mémoire par exemple, un lieu ou j’aime aller. Il y a des restes d’une bâtisse que mes grands parents ont habité et j’aime y retourner pour les imaginer, les voir dans ce lieu. Je pense à ce qu’il a pu s’y passer, à la manière dont le lieu à été utilisé, et le temps qui s’écoule, ce temps passé, dans un autre mode de vie. Alors il y a une petite nostalgie du fait que ce soit familial, mais c’est aussi très imaginatif de ce qu’ils pouvaient bien y faire, parce que moi même je n’en ai aucun souvenir de ce lieu, c’est donc tout autant une émotion de curiosité qu’une émotion liée à l’attachement aux ancêtres familiaux. Une émotion de respect de filiation. De fierté de maintien, de continuité et d’appartenance à un réseau.

 

LA PERTE DE L’IDENTITÉ

Il y a l’attachement aux choses présentes comme une culture, puis il y a parfois l’EFFORT de la maintenir. Par ce mot même, si on fait « l’effort » c’est qu’il est déjà en train de disparaître, ou du moins il en subit certaines pressions. Du coup on pourrait dire que la mémoire ne devient importante que pour celui qui prend conscience qu’elle disparaît.

Finalement ce ne serait pas la mémoire qui serait importante mais la disparition[3]. Si on veut apporter un attachement à une mémoire, il faudrait alors développer ou suggérer sa disparition.

Au pays Basque, la présence très marquée du régionalisme l’emmène vers une perte de sens et le développement de la banalité. Ce sont des points nécessaire à l’ennui et aux disparitions.

Le maintien d’une identité est un juste équilibre entre la mutation et la conservation.

L’UNITÉ

La question ne se résout donc pas uniquement par le maintien de l’unité. Celle ci est agréable car elle caractérise une culture, mais dés lors qu’elle est largement présente, il est alors possible d’entamer une transition sans pour autant la perdre. Une mutation vers une architecture mieux correspondante à la culture locale.

La question devient donc bien de trouver la nouvelle représentation de l’identité.

Bien que ceci puisse paraître un travail de façade ou d’apparence, presque un travail littéral d’une donnée, sans prendre en compte que l’architecture répondant aux fonctions va constituer la nouvelle identité, puisque la population continuera à construire ce dont elle a besoin. On pourrait alors négliger le travail esthétique accordé à l’identité régionale. Mais l’architecte doit donner une réponse tout autant à la fonction qu’à l’apparence. Alors que la liaison à l’identité locale de la fonction se fera de soi, la connexion à l’identité d’apparence, de la même manière que la subjectivité de la beauté, restera obligatoirement une interprétation propre à l’architecte mais pourtant bel et bien une réponse nécessaire.

LES CODES

Dans le voyage, j’ai pu observer un plaisir plus important à découvrir le « caractère » d’une culture. Lorsque je suis passé à Séville, le caractère était flagrant, j’ai marché dans des rues étroites, sinueuses et calmes. Les maisons avaient deux ou trois étages avec une toiture en tuile. J’ai souvent pu remarquer des herbes sauvages qui poussaient, dans les gouttières ou les corniches. C’était amusant parce qu’il semblait que les habitants ne cherchaient pas à les enlever.

Lorsque les portes d’entrée était ouvertes ou ajourées, on pouvait entrevoir en arrière plan d’une pièce sombre , un patio lumineux et parfois végétalisé. Cet espace avait une ambiance magnifique, j’ai eu plusieurs fois envie d’y entrer, la lumière y apparaissait douce, et l’espace devait certainement y être bien tempéré. A l’observation de la teinte lumineuse, certains patio devaient même être couverts.

Un autre point qui m’a particulièrement plu était les places publiques. Lorsque je marchais dans les rues, il m’est arrivé d’entendre au loin comme un bourdonnement. La résonance des rues le portait loin. Une fois le bruit était plus fort, et m’intriguait. Je m’y suis dirigé et j’ai été surpris de découvrir une toute petite place qui devait faire 15 mètre par 15 dans laquelle une trentaine d’habitants discutaient assis sur des bancs publics en regardant leur enfants jouer dans un château gonflable temporairement installé. Cette scène semblait tout à fait naturelle et courante. Le comportement des gens démontrait bien leur statut d’habitant des rues environnantes. Je n’y suis pas resté.

Bien que plusieurs styles architecturaux se mélangeaient, il y avait quand même dans l’ensemble une unité.

Au contraire à Barcelone, j’ai eu beaucoup plus de difficulté à saisir le caractère du lieu, de saisir les « modes d’ici ». J’y ai rencontré des gens qui comme moi venait d’ailleurs. Lorsque je rentrais dans un restaurant, le service m’y accueillait en anglais, voire même en français. Le caractère me paraissait nettement moins fort. Les espaces sont traités presque plus pour accueillir le touriste que le résident. Il en résulte une difficulté pour comprendre à quel moment on se retrouve face au caractère local ou face à un dispositif pour répondre à la demande des visiteurs comme par exemple pour les produits servis, la musique, l’ambiance ou même le bruit dans un bar ou restaurant. Et puis, c’est un lieu ou tout est pré-mâché, le fait de l’avoir visité après Séville m’a donné le sentiment qu’il y a juste à se promener et à faire ce qu’on nous disait de faire.

Heureusement que dans les parties moins touristiques, le résident reprenait sa place. Lorsque je suis sorti des parties destinées aux voyageurs, j’ai d’abord traversé une partie du vieux Barcelone ou j’ai pu observer des chaises situées sous quelques arbres devant une grande place pour les joueurs du soir. J’ai ensuite marché dans la trame Cerda et j’ai pu traverser une sorte de fête de rue avec diverses animations destinées aux résidents.

Je peux constater que la partie ancienne de Barcelone n’apporte pas plus de caractère que la trame Cerda. Le caractère à Barcelone est plus proche du mien que celui de Séville. La lecture du caractère à Barcelone étant moins distincte, la relation entre l’architecture et la culture m’est plus difficile à cerner.

Au fond, le caractère s’exprime même en fait uniquement par différence. On observe un mode de vie quelque part puis on le compare avec un autre et les différences entre les deux constituent l’identité de chacun d’eux. Ce qui dans les deux villes est vécu de la même manière n’est pas identitaire mais propre à un mode de vie d’échelle supérieure, région, nation…

Néanmoins, à Séville je me suis très facilement retrouvé plongé dans un autre monde, une autre façon de voir, j’étais plus seul, plus dans l’obligation de comprendre ce qui s’y passe, plus loin de mes codes. Oui, l’idéal du caractère pourrait être un lieu situé dans un même contexte (même pays par exemple), mais ou les codes seraient totalement différents. Plus il sera difficile de se repérer dans un lieu ou plus on pourra observer des événements qui nous sont inhabituels, plus il aura de caractère.

Dans ce voyage, j’ai finalement éprouvé plus de plaisir à découvrir la force d’un caractère que la faiblesse de l’uniformisation dans un environnement plutôt destiné aux gens de l’extérieur.

Ce qui m’importe est le caractère des habitants et de voyager pour le découvrir. Si dans un voyage je me retrouve dans un lieu mis en place pour me recevoir, alors je suis déçu, moins intéressé. Je chercherai donc à mettre en place une architecture favorisant le caractère, mais à destination des habitants et non des voyageurs.

AVANT QUE L’ARCHITECTURE SOIT IDENTITAIRE

Schéma de constitution d’une identité ou d’une unité de paysage.

 

 

 

LA MÉMOIRE ET L’ÉVOLUTION DE LA CIVILISATION

J’ai conscience du potentiel émotionnel d’un lieu ancien. L’imagination de la vie qui y était vécue est toujours émotionnelle. Mais est ce que cette mémoire apporte quelque chose ? De l’émotion certes, de la prise de conscience de ce qu’on a, oui peut être, mais le rend il mieux pour autant ?

L’histoire a le potentiel de faire progresser. Pourtant, si l’on observe la manière dont notre confort de vie a évolué par rapport à celle de notre attitude individuelle et collective. L’homme reste encore pour moi trop exécrable[4] et le décalage entre ces deux parties me semble trop important.

Alors, bien que l’histoire, la mémoire et la conservation soient une aide, une source ou puiser, pour créer et progresser, elles sont aussi les responsables de notre stagnation morale.

Dans le film « Le Wazzou polygame » de Marou Ganda réalisé en 1972, l’histoire racontée est celle d’un village au Niger ou tous les habitants travaillent de concert pour forcer le mariage entre une fille et un homme qui paye mieux la dote que les autres, seulement la fille ne l’aime pas et n’a absolument pas envie de vivre avec lui. Cet homme à effectué le pèlerinage jusqu’à la Mecque et y a développer une connaissance complémentaire à ses amis du village, ce qui lui donne la possibilité d’avoir un statut de sage, de connaisseur et en tant que tel, il est écouté et peut diriger.

Il explique alors aux autres comment se comporter, mais ne se l’applique pas à lui même, sans même qu’il en prenne conscience. Il est enfermé dans son manque de connaissance et d’ouverture d’esprit et croit savoir.

Dans ces conditions ou la fille subit la pression d’une coutume, la mémoire me paraît néfaste.

Mais ceci reste un point de vue sur la mémoire jugé depuis ma culture, mon éducation et mon point de vue sur le monde.

Je constate avec ceci que le jugement réciproque est aussi possible.

La mémoire est donc toujours néfaste[5] pour quelqu’un.

Il est difficile d’accéder à de grandes évolutions collectivement ; auquel cas le peuple pourrait se trouver déraciné et vacillerait avant d’éventuellement chuter lourdement[6].

Il est plus raisonnable que les évolutions collectives se passent avec la mémoire et la lenteur que cela implique.

Par contre il y a plus d’espoir dans l’individu, car lui, même déraciné de sa mémoire, n’emportera pas le peuple en cas de chute.

Une culture à toujours une certaine représentation architecturale. Dans certains cas, lorsque l’individu construit de manière à ce qu’il se créé un ensemble constitutif d’une unité flagrante, alors l’appartenance des habitants à une culture se détermine, allonge leur racines et les stabilises, avec les avantages et inconvénients que cela comporte.

Plus on est attaché, plus on est stable et moins on avance[7].. Moins on a d’attachement ou de chose qu’on aime, plus on est libre. Mais plus on est libre, plus on est instable.

Je conclurai donc sur l’importance de développer la liberté pour l’individu et de prendre en compte la mémoire et les racines pour la collectivité[8].

 

CONCLUSION

 

De part mon raisonnement, j’abouti à un mixte entre le maintient et le changement ; la mémoire pour la collectivité et la liberté pour l’individu.

De part mes voyages et expérience, je constate plus de plaisir dans la découverte d’une culture plus pure (moins globalisée et pas spécialement adaptée à ma venue), plus accrochée à sa mémoire.

Mais mon cœur est épris entre deux parties.

La nécessaire évolution et la vitale mémoire.

 

 

Dans ce cas, l’architecture appartenant à la collectivité, je la ferai prendre en compte l’existence du lieu dans lequel est inscrit toute la mémoire ainsi que la culture de manière à lier le présent au passé et vis-versa.

Mais elle prendra également en compte le besoin d’émancipation de l’individu avec par exemple l’interprétation libre de la mémoire. Prendre en compte la mémoire est loin d’être la répétition d’une donnée établie. En fonction de la consistance d’une mémoire dans un lieu (par l’unité de paysage par exemple) travailler la mémoire c’est la quitter sans la quitter.

Aussi, une donnée qui détient beaucoup de potentiel pour l’individu c’est la constitution d’émotions dans l’architecture. Elles peuvent être issues de partout, surprise, humour, nostalgie, matière, lumière, appropriation, horreur, déconnexion, contraste, structure…

 

VARIANTES DE COMPOSITION ARCHITECTURALES AVEC LA MÉMOIRE

Architecture à mémoire visuelle

L’identité architecturale d’un ensemble construit correspond principalement aux bâtiment anciens faisant figure de patrimoine. Néanmoins, lorsque dans certains lieux une typologie d’architecture est répétée et constitue une masse d’ensemble relativement cohérente et constitutive d’une unité de paysage, alors celle ci, sans pour autant être une architecture patrimoniale devient aussi une identité architecturale.

Les exemples ci dessous utilisent l’identité architecturale du lieu comme élément de conception du projet.

« Rasin Building » à PRAGUE, « Matignon Building » à PARIS, « Pedrera » à BARCELONE

 

 

Architecture à mémoire intrinsèque

L’identité culturelle des habitants retranscrite dans l’architecture.

Celle ci n’est pas nécessairement liée à l’architecture patrimoniale, ni à celle de l’ensemble du paysage. Elle peut être visuelle, cognitive, d’agencement, de fonctionnement, de complexité, de forme… Elle détient également une variante en fonction de la taille et de l’importance de la ville dans son environnement. Par exemple une ville comme une capitale en plus de son identité propre, est aussi représentative de l’identité culturelle de son pays.

Les exemples ci dessous utilisent la culture du lieu comme élément de concept du projet.

« Mercat Santa Caterina » à BARCELONE « Sea Ranch Chapel » en CALIFORNIE, « Guggenheim » à BILBAO

Architecture à mémoire intrinsèque et visuelle

 

BIBLIOGRAPHIE

  • Rem KOOLHAAS, « Junkspace», éditions Payot & Rivages, 2011, Traduit de l’anglais par Daniel Agacinski, 125 pages. Edition originale « Bigness or the Problem of Large » 1995, « The Generic City » 1995, « Junkspace » 2001
  • Katsuhiro OTOMO « AKIRA» tome 4 de, édition Glénat, 2000, 394 pages. Edition originale Mash•Room Co. Ltd, Tokyo, 1987
  • NIETZSCHE « Seconde considération intempestive» « De l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie» Présentation par Pierre-Yves Bourdil, Traduction par Henri Albert, Editions Flammarion, Paris, 1988, 182 pages
  • JUHANI PALLASMAA « Le regard des sens» Traduit de l’anglais par Mathilde Bellaigue, titre originel « The eyes of the skin », « Architecture and the Senses », Editions du LINTEAU, PARIS, 2010, 99 pages
  • WANG SHU « Construire un monde différent conforme aux principes de la nature» Interprétes de la conférence : James Black et Zhang Lin, Editions cité de l’architecture et du patrimoine, Paris, 2013, 128 pages
  • Paul Ardenne & Barbara Polla, « Architecture émotionnelle», « matière à penser» Editions Le Bord de l’Eau, collection La Muette, 2010-2011, dépôt légal Janvier 2011, 192 pages
  • Pierre SANSOT, « La beauté m’insupporte», Editions Payot & Rivages poche / Petite bilbiothèque, 2006, 297 pages

[1] Extrait AKIRA 4, p 190, de Katsuhiro OTOMO, édition Glénat

« Tout l’univers converge inexorablement vers sa forme ultime. Ce qui est élevé est destiné à être aplani… Ce qui est dense deviendra fluide… L’entropie fait son œuvre et, en définitive, toutes chose tend vers l’uniformisation. C’est une loi inévitable et irréversible d’équilibre. »

[2] JUHANI PALLASMAA « Le regard des sens » p61

(…) Bâtiments et villes sont les instruments et les musées du temps. Ils nous permettent de voir et de comprendre le passage de l’histoire, et de participer aux cycles du temps qui dépassent la vie individuelle.

L’architecture nous relie aux morts ; par les bâtiments nous pouvons imaginer l’animation de la rue médiévale, nous représenter une procession solennelle approchant la cathédrale.

JUHANI PALLASMAA « Le regard des sens » p65

(…) Le sens tactile nous lie au temps et à la tradition : par le toucher, nous serrons les mains de générations innombrables.

[3] WANG SHU « Construire un monde différent conforme aux principes de la nature » p17

« Lorsque je suis arrivé il y a trente ans à Hangzhou, j’ai tellement aimé ce site admirable que j’y suis resté. (…) Pendant ces dernières décennies ont eu lieu de violents débats, de nombreuses polémiques, pour savoir quelle direction elle devait prendre. (…) les transformations qu’elle a subies sont pour tout Chinois le signe que des limites ont été dépassées.

(…) Dans cette phase de développement fulgurant, Hangzhou a perdu 90% de son habitat traditionnel. (…) Je dis souvent que, dans les événements les plus important des dernières décennies, avant même le 11 septembre, il faut compter le fait que la Chine, pays à l’histoire plusieurs fois millénaire, a décidé de détruire les neuf dixièmes de son patrimoine bâti.

Que s’est il passé ? Un siècle de révolutions successives ont tué la confiance que la Chine mettait dans sa propre culture, l’amour qu’elle lui portait ; ou bien, dirons-nous, les gens qui aimaient cette culture ont disparu dans les révolutions. Le résultat relève d’un état d’esprit qui a pour seul objectif la poursuite du développement économique. (…) Quand on regarde la ville actuelle, cet entassement, ce mélange de constructions anciennes et nouvelles, on se demande dans quel pays on se trouve. Un tel processus a de quoi consterner ou inspirer de l’indignation, à tout le moins de l’incompréhension.

[4] NIETZSCHE « Seconde considération intempestive » p99

« (…) L’histoire antiquaire (celle qui conserve) ne s’entend qu’à conserver la vie et non point à en engendrer de nouvelle. C’est pourquoi elle fait toujours trop peu de cas de ce qui est dans son devenir, parce que l’instinct divinatoire lui fait défaut, cet instinct divinatoire que possède par exemple l’histoire monumentale (celle qui constitue notre société). Ainsi l’histoire antiquaire empêche la robuste décision en faveur de ce qui est nouveau, ainsi elle paralyse l’homme d’action qui, étant homme d’action, blessera toujours et blessera forcément une piété quelconque. »

[5]

[6] NIETZSCHE « Seconde considération intempestive » p97

(…) Niebuhr, par exemple avoue, avec une honnête candeur, qu’il peut vivre heureux et sans regretter l’art dans les marécages et les landes, au milieu de paysans libres qui ont une histoire. (Plaisir de vie dans lieu simples) Comment l’histoire pourrait-elle mieux servir la vie qu’en attachant à leur patrie et aux coutumes de leur patrie les races et les peuples moins favorisés, en leur donnant des goûts sédentaires, ce qui les empêche de chercher mieux à l’étranger, de rivaliser dans la lutte pour parvenir à ce mieux ? (Décrit ici l’intérêt d’être sédentaire) Parfois cela paraît être de l’entêtement et de la déraison qui visse en quelque sorte l’individu à tels compagnons et à tel entourage, à telles habitudes laborieuses, à tel stérile coteau. Mais c’est la déraison la plus salutaire, celle qui profite le plus à la collectivité. (L’intérêt est pour la collectivité) Chacun le sait, qui s’est rendu compte des terribles effets de l’esprit d’aventure, de la fièvre d’émigration, quand ils s’emparent de peuplades entières, chacun le sait, qui a vu de près un peuple ayant perdu la fidélité à son passé, abandonné à une chasse fiévreuse de la nouveauté, à une recherche perpétuelle des éléments étrangers. (désastre des colonisateurs) Le sentiment contraire, le plaisir que l’arbre prend à ses racines, le bonheur que l’on éprouve à ne pas se sentir né de l’arbitraire et du hasard, mais sorti d’un passé héritier, floraison, fruit -, (…) (importance des racines)

[7] NIETZSCHE « Seconde considération intempestive »p98

« Il y a toujours un danger qui est tout près. Tout ce qui est ancien, tout ce qui appartient au passé et que l’horizon peut embrasser, finit par être considéré comme également vénérable ; par contre tout ce qui ne connait pas le caractère vénérable de toutes ces choses d’autrefois, donc tout ce qui est nouveau, tout ce qui est dans son devenir, est rejeté et combattu. »

[8] NIETZSCHE « Seconde considération intempestive » p95

« L’histoire appartient donc en second lieu à celui qui conserve et vénère, à celui qui , avec fidélité et amour, tourne les regards vers l’endroit d’où il vient, où il s’est formé. Par cette piété, il s’acquitte en quelque sorte d’une dette de reconnaissance qu’il a contractée envers sa propre vie. En cultivant d’une main délicate ce qui a existé de tout temps, il veut conserver les conditions sous lesquelles il est né, pour ceux qui viendront après lui, et c’est ainsi qu’il sert la vie. »